jeudi 18 mai 2017

Atelier Première - Jeudi 18 mai (suite)

Quelques documents pour poursuivre la réflexion :

Textes distribués en classe :

Document n°1 : Une approche philosophique : Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979)

Compte tenu de la puissance colossale de notre technique […] il devient d’une aveuglante clarté que la prévention est la principale mission de la responsabilité. Mais ce n’est pas le seul domaine. Notre technique pacifique [=qui n’inspire pas la crainte] elle-même, dont bénéficie quotidiennement l’humanité sur la planète, recèle en elle un potentiel de malheur — qui, pour n’être ni intentionnel ni soudain, n’en est pas moins sournois. Il accompagne en conséquence comme une ombre grandissante, les œuvres que cette technique a voulues, et dont elle a eu si souvent besoin.

Le choix plus simple qui consisterait à suspendre toute action nous est ici refusé, car nous devons poursuivre l’exploitation technique de la nature. Comment et dans quelles proportions, telles sont les deux seules questions qui subsistent ; de même, celle de savoir si nous sommes maîtres de la nature ou si nous pouvons le devenir est-elle l’une des questions les plus graves en ce qui concerne la liberté humaine. […] Le danger qui nous menace actuellement vient-il encore du dehors ? Provient-il de l’élément sauvage que nous devons maîtriser grâce aux formations artificielles de la culture ? C’est encore parfois le cas, mais un flot nouveau et plus dangereux se déchaîne maintenant de l’intérieur même et se précipite, détruisant tout sur son passage, y compris la force débordante de nos actions qui relèvent de la culture. C’est désormais à partir de nous que s’ouvrent les trouées et les brèches à travers lesquelles notre poison se répand sur le globe terrestre, transformant la nature tout entière en un cloaque pour l’homme. Ainsi les fronts se sont-ils inversés. Nous devons davantage protéger l’océan contre nos actions que nous protéger de l’océan. Nous sommes devenus un plus grand danger pour la nature que celle-ci ne l’était autrefois pour nous. Nous sommes devenus extrêmement dangereux pour nous-mêmes et ce, grâce aux réalisations les plus dignes d’admiration que nous avons accomplies pour assurer la domination de l’homme sur les choses. C’est nous qui constituons le danger dont nous sommes actuellement cernés et contre lequel nous devons désormais lutter.

Source : Hans Jonas, Une éthique pour la nature, 1993, tr. fr. Sylvie Courtine-Denamy, Desclée de Brouwer, 2000, p. 136-137.

Document n°2 : Deux mesures d’écologie politique (1982-2005) 

1/Selon la Charte mondiale de la nature (conférence de Stockholm, ONU, 1982) : « Tous les gouvernements et tous les peuples du monde doivent s’acquitter collectivement et individuellement de leur responsabilité historique, afin que notre petite planète soit léguée aux générations futures dans un état qui garantisse à chacun une existence respectueuse de la dignité humaine »

2/La révision constitutionnelle entrée en vigueur le 1er mars 2005 a introduit dans la Constitution française la Charte de l’environnement dont l’article 5 définit les modalités d’usage du principe de précaution : mise en place de procédures d’évaluation des risques et de mesures de protection provisoires et proportionnées pour parer à d’éventuels « dommages graves et irréversibles à l’environnement », lorsque les connaissances scientifiques ne permettent pas d’en écarter le risque. Les rapporteurs constatent une tendance à élargir l’usage du principe, notamment en l’appliquant pour l’ensemble des procédés technologiques, même lorsqu’ils sont déjà massivement utilisés (nanomatériaux, téléphonie mobile, biotechnologies, etc.), y compris dans le domaine sanitaire où sa mise en œuvre n’était pas initialement prévue.

Source : http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/evaluation/principe-precaution-mieux-encadrer-mise-oeuvre.html

Document n°3 : Extrait du projet de Benoît Hamon (PS), campagne de 2017 (Source : https://www.benoithamon2017.fr ) 

Document n°4 : Voltaire, "Poème sur le désastre de Lisbonne", 1756 : https://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sastre_de_Lisbonne

Document n°5 : Jean-Pierre Dupuy, "Une catastrophe monstre", Le Monde, en ligne, 19/03/2011

Professeur à l'université Stanford, Jean-Pierre Dupuy est également président du comité d'éthique et de déontologie de la Haute Autorité de sûreté nucléaire.

En 1958, le philosophe allemand Günther Anders (1902-1992) se rendit à Hiroshima et à Nagasaki pour participer au 4e congrès international contre les bombes atomiques et les bombes à hydrogène. Il tint pendant tout ce temps un journal. Après de nombreux échanges avec les survivants de la catastrophe, il note ceci : « La constance qu'ils mettent à ne pas parler des coupables, à taire que l'événement a été causé par des hommes ; à ne pas nourrir le moindre ressentiment, bien qu'ils aient été les victimes du plus grand des crimes - c'en est trop pour moi, cela passe l'entendement. » Et il ajoute : « De la catastrophe, ils parlent constamment comme d'un tremblement de terre, comme d'un astéroïde ou d'un tsunami. » […]

Le fait que les juifs d'Europe aient substitué au mot « holocauste » celui de Shoah, qui signifie catastrophe naturelle et, singulièrement, raz de marée, tsunami, atteste cette tentation de naturaliser le mal lorsque les hommes deviennent incapables de penser cela même dont ils sont victimes. Voici que la tragédie qui frappe le Japon semble inverser les termes de cette analyse et qu'un véritable tsunami, une onde on ne peut plus matérielle, vient réveiller le tigre nucléaire. Certes, il s'agit d'un tigre en cage : un réacteur électronucléaire n'est pas une bombe atomique. Il en est en un sens la négation puisqu'il consiste à brider une réaction en chaîne qu'il a lui même provoquée. Cependant, dans l'imaginaire, la dénégation affirme cela même qu'elle nie. Dans la réalité, et nous y sommes, il arrive que le tigre s'échappe de sa cage.

[…]  C'est comme si la Nature se dressait face à l'Homme et lui disait, du haut de ses rouleaux déferlants de vingt mètres : « Tu as voulu dissimuler le mal qui t'habite en l'assimilant à ma violence. Mais ma violence est pure, en deçà de tes catégories de bien et de mal. Je te punis en prenant au mot l'assimilation que tu as faite entre tes instruments de mort et ma force immaculée. Péris donc par le tsunami ! » […] Que Rousseau ait gagné est évident dans la manière dont le monde a réagi à deux des plus grandes catastrophes naturelles de ces dernières années : le cyclone Katrina et le tsunami asiatique de Noël 2004. C'est leur statut de catastrophe naturelle qui a été mis en doute. « A man-made disaster » (une catastrophe due à l'homme) titrait le New York Times à propos du premier ; la même chose avait été dite à propos du second avec de bonnes raisons. Si les récifs de corail et les mangroves côtières de Thaïlande n'avaient pas été impitoyablement détruits par l'urbanisation, le tourisme, l'aquaculture et le réchauffement climatique, ils auraient pu freiner l'avancée de la vague meurtrière et réduire significativement l'ampleur du désastre. […] Bref, c'est l'homme, seulement l'homme, qui est responsable, sinon coupable, des malheurs qui l'accablent.   


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